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— J’ai pris le chemin de Rocca-di-Papa, qui est facile, et puis, au moment de monter la côte, j’ai observé un gros rocher que Felipone m’avait indiqué, qui se trouve placé sur deux autres. Il ne fait pas si noir dehors que cela te semble d’ici. La lune est voilée cette nuit, mais on voit. Je savais qu’avec un peu de mémoire et d’adresse, on peut entrer par là dans la gorge del buco. Il n’y a pas de sentier ; mais la distance est courte, et tu vois, je ne suis pas fatiguée.

— Mais tu n’as pas dormi la nuit dernière ?

— J’ai dormi une heure ; il y avait presque une semaine que cela ne m’était arrivé.

Elle me montra, sur ses épaules et sur ses bras, les marques bleues des coups qu’elle avait reçus. Elle souriait en me racontant ses tortures.

— Pauvre Masolino, disait-elle, je te pardonne, c’est tout ce que je peux faire. Cela me dispensera de te regretter. À présent que je retrouve ce que j’aime, je suis fâchée de n’avoir pas souffert davantage : mon mal n’est pas en proportion de mon bien !

Je la forçai de prendre du repos. Étendue sur le lit de sable et de feuilles, la tête appuyée sur mes genoux, elle s’endormit de ce beau sommeil tranquille que je contemple toujours avec ravissement. Je passai la nuit à la regarder, dans une muette béatitude ; je ne pensais pas ; je vivais de cette seule idée : elle est à moi maintenant et pour toujours ! Le lieu où nous étions me semblait délicieux, la voix claire de la cascade était devenue une musique céleste. La faible lueur de la lanterne dessinait des silhouettes d’architecture bizarres et réjouissantes sur la muraille crevassée. Le morceau de la tenture assujetti, au bas de l’ogive, par des pierres, se gonflait comme une voile, à l’air vif refoulé vers nous par la chute d’eau. Ce vestige de quelque antique décoration du manoir de Mondragone, apporté là sans doute par Vin-