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née dernière était resté attaché aux rameaux, tandis que les bourgeons pointaient à l’extrémité. Il paraissait vouloir vivre dans cette position le plus longtemps possible, et je lui avais presque demandé pardon de dépouiller ses maîtresses branches pour satisfaire mon sybaritisme.

En dépit des douceurs de cette couche improvisée, je ne dormais pas, je tâchais de me rendre compte de ce problème la marche du temps. Le temps qui marche, qu’est-ce que cela ? me disais-je ; il n’y a pas de temps pour celui qui n’a ni commencement ni fin : l’éternité semble être l’antithèse du temps. Dieu voit, pense et sent des choses et des êtres qui passent en lui, comme cette cascade dont le bruit tranquille ne finit ni ne commence, à mon oreille, son chant inflexible et fatal. Les révolutions des mondes de l’univers ne dérangent pas plus l’universelle palpitation de la vie que le grain de sable ne dérange et ne trouble ce flot monotone. Et me voilà pourtant ici comptant les battements de mon cœur, et voulant, de toute la puissance de mon être, accélérer les secondes et les minutes qui ne reviendront plus pour le moi que je connais, mais qui recommenceront dans toute l’éternité pour le moi immortel que je suis.

Quelle est donc cette fièvre, cette ébullition de la pensée humaine qui s’élance toujours au delà de l’heure présente, comme si elle pouvait échapper à l’heure permanente de Dieu ? Ce qui est le propre de notre nature terrestre est tout ce qu’il y a de plus contraire à la nature universelle, à la loi de la vie qui marche sans repos comme sans lassitude, et qui ne connaît pas la division arbitraire du temps, puisqu’elle ne connaît pas de limites.

Ne serait-ce pas parce que l’homme n’est que la moitié d’un être, cherchant toujours, non à presser le cours d’une existence qu’il craint toujours de perdre, mais à se compléter par une société sans laquelle sa vie ne lui est rien ?