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Ce qu’il y a de certain, c’est que ce pauvre frère Cyprien, avait été annihilé dans ma pensée comme s’il se fût agi d’un vêtement laissé dans une armoire. On ne meurt pas pour un jour de jeûne ; mais, en songeant à la capacité de cet estomac d’autruche (d’autriche, comme disait Tartaglia), et à ces dents de requin dont nous avions tant redouté la puissante mastication, je me fis de grands reproches, et j’eus encore à demander intérieurement pardon à Daniella des mauvais traitements occasionnés par moi aux membres de sa famille.

La nuit étant tout à fait close, comme je n’avais aucune espèce de luminaire et que je n’attendais pas Felipone avant onze heures ou minait, j’essayai d’engourdir mon impatience par le sommeil ; mais je ne fis que penser à Daniella. Je me disais avec bonheur qu’après ce qui m’était arrivé à cause d’elle, je me serais senti dégrisé de tout autre amour, tandis que le sien m’apparaissait toujours plus précieux et plus désirable à mesure qu’il entraînait ma vie obscure et mon humeur paisible dans des hasards étranges et dans des aventures répulsives. Je trouvai tant de consolation et de douceur à l’idée de souffrir un peu pour celle qui avait déjà tant souffert pour moi, que je ne sentis presque plus le froid et les mouvements fébriles qui m’avaient agité durant tout le jour.

J’avais trouvé moyen de me faire une espèce de lit avec le sable recueilli sur la plate-forme, et quelques feuilles sèches que j’avais arrachées à la cime d’un jeune arbre tombé, la tête en bas, du haut du rocher dans la cascade. C’était une espèce de platane dont les branches s’étaient affaissées sur la plate-forme de la tour, et cette rencontre l’avait empêché d’être entraîné par l’eau, qui tendait au contraire à le rejeter de mon côté. Ses racines retenaient encore une motte de terre humide, et son feuillage de l’an-