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En parlant ainsi, il ramassait dans le flot de la cascade un petit sac de toile grossière accroché à une pointe de rocher.




LXII


Ce sac contenait quelques livres de graine de lupin. C’est une semence coriace et d’une amertume impossible, qui fait le fond de la culture de certaines régions de la Campagne de Rome, et le fond de la nourriture des pauvres. La plante est belle et la graine abondante. Pour la rendre comestible, on lui retire son amertume en la plaçant dans une eau courante où elle reste au moins huit jours, après l’avoir fait cuire à moitié pour soulever l’épaisse pellicule ; on la recuit encore et on la mange croquante. Beaucoup d’ouvriers et de paysans ne connaissent pas d’autre régal.

— Ce sac vient de là-haut, dit le fermier en montrant la cime du rocher. Quelque pauvre diable du village aura mal assujetti les pierres en le mettant tremper dans la source, et l’eau l’a emporté. Prenez-le sans scrupule, il eût été perdu. Voyons s’il a trempé assez longtemps !

Il goûta la graine et fit la grimace.

— Ça ne vaut pas le souper d’hier, dit-il en riant ; mais on peu de mortification peut faire du bien à notre âme, à ce que disent les croyants. Et puis il y a quelque chose de bon dans cette trouvaille. Puisqu’on n’est pas venu chercher ici ce qu’on avait perdu, c’est qu’on croit le passage impossible, et vous serez là en sûreté. Allons, à la garde de Dieu ! mon garçon. Je suis content d’avoir fait votre connaissance, et j’espère la renouveler dans une douzaine et demie d’heures employées à votre service.