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les fourrés. Je vas m’en retourner chez nous par Rocca-di-Papa.

Nous nous remîmes en route en remontant le cours rapide du petit ruisseau, à travers les roches, tantôt enjambant d’une rive à l’autre, afin d’y trouver place pour nos pieds sur les blocs qui le resserraient, tantôt, quand il s’élargissait sur un sable sans profondeur, marchant dans l’eau jusqu’à mi-jambe, faute d’une berge praticable.

L’instinct paysagiste est si fort, je dirai presque si animal en moi, que, malgré ma lassitude et les sérieuses difficultés d’une pareille marche, malgré les pensées à la fois lugubres et enivrantes qui me traversaient l’esprit comme des songes fiévreux, je me surprenais admirant les mille accidents imprévus et les mille grâces sauvages de ce ruisseau mystérieux caché dans les déchirures d’une terre luxuriante de fleurs et de roches éclatantes de mousses satinées. Nous passions comme deux sangliers à travers les lianes de cette forêt vierge, et j’avais un regret, un chagrin instinctif de briser ces guirlandes de lierre et de liserons, de souiller sous mes pieds ces tapis d’iris et de narcisses, de déranger enfin cette splendide et délicate décoration, où la nature semblait savourer les délices de son libre essor, en cachette du travail spoliateur de l’homme.

Il y eut enfin un moment où les parois de rocs et de buissons qui nous pressaient s’écartèrent assez pour me laisser voir le pays où nous rampions comme dans un fossé. Ce fut un coup d’œil magique aux premières lueurs du soleil. Nous étions dans le fond d’une étroite gorge couverte de taillis épais, semée de monticules et tourmentée de ces mouvements brusques et variés qui sont propres aux terrains volcaniques. Les nombreux reliefs de ces petites masses, que protégeait une enceinte de masses plus élevées, rendaient cette solitude particulièrement favorable au genre de re-