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grisonnante, achève de le rendre hideux, et le contentement avec lequel il se posait devant la glace me le fit paraître si bouffon, que je partis d’un immense éclat de rire.

Je crus voir que je l’avais blessé, car il me regarda d’un air de tristesse et de reproche, et j’eus la niaiserie de me repentir. Affliger un homme qui me rendait le service de m’égayer, c’était de l’ingratitude. Quand il vit ma simplicité :

— C’est bien aisé de se moquer des pauvres, dit-il, quand on ne manque de rien ; quand on a trois ou quatre cravates à choisir tous les matins !

Je compris l’apologue, et lui fis don d’une cravate. Il retrouva aussitôt sa bonne humeur, qu’il avait fait semblant de perdre.

— Excellence, me dit-il, je vous aime, et je m’intéresse à un cavaliere qui sait ce que c’est que la vie ! (C’est là son éloge favori, éloge mystérieux, profond peut-être dans sa pensée.) Je veux vous donner un bon conseil. Il faut épouser la signorina. C’est moi que je vous le dis !

— Ah ! ah ! tu veux me marier ! Avec quelle signorina ?

— La Medora, l’héritière future de Leurs Excellences britanniques.

— En vérité ? Pourquoi faut-il l’épouser ? Est-ce qu’elle est en peine d’un mari ?

— Non, elle est riche et belle. Oh ! la belle femme ! n’est-ce pas ?

— Oui, après ?

— Eh bien, elle a refusé ici, l’an dernier, les plus beaux partis de la contrée : des neveux de famille papale, des fils de cardinaux, tout ce qu’il y a de plus huppé.

— Tu es sûr qu’elle a refusé tout cela pour m’attendre ?

— Non ; mais qui sait l’avenir ? Puisque vous êtes amoureux d’elle, pourquoi ne serait-elle pas amoureuse de vous ?

— Ah ! je suis amoureux d’elle ? Qui t’a dit cela ?

— Elle.