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je me disais ces choses-là en traversant ces grandes rues où l’herbe pousse, et en regardant ces vieux palais bizarres qui se mirent dans l’Arno d’un air solennel et ennuyé. Pise tout entier est un Campo-Santo, un cimetière où les édifices, vides d’habitants, sont debout comme des mausolées. Sans les Anglais et les malades de tous les pays froids, qui viennent en certains moments de l’année, lui rendre un peu d’aisance, la ville, je crois, finirait comme doivent finir les petites républiques d’aristocrates : elle mourrait dà se.

Il n’y pas tant à gémir sur ses destinées ; elle a eu ses beaux jours, alors que sa constitution était un grand progrès relatif. Elle a été rivale de Gênes, de Venise et de Florence ; elle a été reine de Corse et de Sardaigne, reine de Carthage, cette autre ruine dont elle devait partager le destin. Elle a eu cent cinquante mille habitants, de grands artistes, une marine, de grands capitaines, des colonies, des conquêtes, d’immenses richesses et tout l’enivrement de la gloire. Elle a bâti des monuments qui durent encore et que le monde vient encore saluer. Mais les temps sont venus où ces petites sociétés si vivaces et si ardentes, au lieu d’être des foyers d’expansion, des sources bienfaisantes, se transformèrent en foyers d’absorption, en abîmes attirant la sève des nations sans vouloir la rendre, en nids de vautours ou de pirates. Dès lors leur décadence et leur abandon furent décrétés là-haut. Jupiter ne lance plus de foudres ; mais Dieu a mis au cœur des sociétés le ver rongeur de l’égoïsme qui les dévore quand elles le nourrissent trop bien. Les voisins jaloux ou irrités ont livré des luttes acharnées ; la mer, en se retirant, a accueilli de nouveaux hôtes sur ses rivages. Livourne s’est élevée dans des idées toutes positives, et, moins jalouse d’art et de magnificence, a prédominé par le trafic. Les outrages, inséparables compagnons du malheur, sont venus frapper l’orgueil des fiers Pisans. La noble répu-