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épouvanté la Marion, est-ce là un état ? Quoi ! vous passez votre temps à copier des personnes toutes nues ? C’est une occupation bien dégoûtante, et à quoi ça peut-il servir ? D’ailleurs, ça me paraît bien grossièrement fait ! J’aimais beaucoup mieux les jolis petits bonshommes que tu inventais autrefois. C’était plus soigné, et c’était plus décent. Les habillements de la campagne étaient parfaitement imités, et tout le monde pouvait regarder ça ! Mais, parlons raison, ajouta-t-il en jetant au feu mon académie. Comment t’es-tu comporté dans cette grande Babylone ? As-tu fait des dettes ?

— Non, mon oncle.

— Si fait, conte-moi ça.

— Je vous jure que non : j’aurais trop craint de vous effrayer et de vous affliger ; mais, à l’avenir, si voulez bien vous laisser convaincre de certaines vérités positives, il est possible…

— Tu me trompes, tu es endetté

— Non, sur l’honneur !

— Mais tu as le projet…

— Je n’ai aucun projet. Seulement, j’ai à vous dire que je suis las d’un système d’économie qui va forcement jusqu’à l’avarice, et qui, si j’avais le malheur d’en prendre le goût, me conduirait à l’égoïsme le plus stupide. Je comprends les privations qu’on s’impose en vue des autres ; mais celles qui n’ont d’autre but que notre propre bien-être dans l’avenir sont étroites et déraisonnables. Jusqu’ici, ma parcimonie a été pour moi une question d’honneur. Vous m’aviez fait jurer que je ne dépasserais pas mon revenu, et, enfant que j’étais, je m’étais laissé arracher ce serment sans prévoir, sans savoir qu’avec cent francs par mois on ne vit pas à Paris, ou que, si l’on y vit, c’est à la condition de ne jamais s’intéresser à un être plus pauvre que soi, et de s’absorber dans une prévoyance sordide. Je n’ai pas pu vivre ainsi : j’ai travaillé pour doubler mon revenu, mais j’ai tra-