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pouviez bien me dire que vous vouliez retourner passer la nuit auprès d’elle, et je vous aurais aidé à vous esquiver. Que diable ! je comprends qu’il y aurait mauvais goût de votre part à laisser pressentir à nos Anglaises une aventure si naturelle ; mais, avec moi, pourquoi vous cacher comme s’il s’agissait d’une madone ?

J’étais blessé, et il me fallait paraître indifférent. Mon rôle était de nier mes relations avec la Daniella, et pourtant j’avais envie de chercher querelle à Brumières pour la façon dont il me parlait d’elle. De quel droit outrageait-il la femme objet de mes désirs ? Quelle que fût cette femme, je sentais le besoin et comme le devoir de la défendre ; mais céder à ce besoin, c’était avouer des droits que je n’avais pas encore.

Ma colère tomba sur Tartaglia, qui me poursuivait dans ma chambre avec sa rengaine accoutumée sur l’amour de Medora pour moi, et sur l’indignité relative de la petite Frascatane, cette fille de rien, qui n’était pas digne d’un mossiou comme moi. À mon impatience se mêlait je ne sais quelle sourde fureur devant l’idée humiliante que ce drôle, objet des premières pensées de la Daniella, avait dû abuser de son innocence. Je sentis que je perdais la tête et qu’il s’apercevait de ma ridicule jalousie.

— Allons, allons, mossiou, me dit-il en prenant vivement la porte, dont il mit le battant entre lui et moi fort à propos, vous pouvez bien vous passer la fantaisie de cette petite fille, il n’y a pas de mal ; mais il ne faut pas que cela vous empêche de viser plus haut. Vous pensez bien que ce que je vous en dis, ce n’est pas par jalousie, moi ! Je ne prétends plus rien sur la Daniella ; il y a longtemps que…

Il s’enfuit en achevant sa phrase, que le bruit de la porte, refermée en même temps par lui, m’empêcha d’entendre.