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costumes, et s’enfuirent en causant et en riant, comme pressés de se débarrasser d’une corvée dégoûtante.

Je m’approchai du lit, qui restait au milieu de l’église déserte, et j’y vis un objet que j’eus besoin de toucher pour le comprendre. Brumières, qui était resté dans la sacristie, approcha à son tour, et s’y méprit.

— Qu’est-ce que cela ? dit-il. Je ne connaissais pas cela. C’est magnifique ! quelle vérité, quel caractère ! Voyez ! on a imité jusqu’à la bouffissure des mains malades.

— Que croyez-vous donc que ce soit ? lui demandai-je : une figure de cire ou de bois peint ?

Il eut alors quelque doute, et appuya son doigt sur la main enflée, qui se creusa sous cette empreinte.

— Pouah ! fit-il, c’est une morte pour de bon ! Que ne le disait-elle ?

C’était une petite vieille qui devait rester exposée sur ce catafalque funéraire jusqu’au moment de la sépulture. Elle paraissait au moins centenaire, et pourtant elle était très-belle dans le calme de la mort : sa peau avait le ton mat et uni de la cire vierge ; ses traits, fortement accentués, n’avaient pas de sexe, car un duvet, blanc comme la neige, ombrageait ses lèvres rigidement fermées. Vêtue d’une robe de linge blanc nouée au cou et aux poignets par des rubans noirs, la tête ombragée d’un voile de mousseline, qui lui donnait l’aspect d’une religieuse, elle semblait dormir dans une attitude aisée, les mains pendantes sur le bord du lit mortuaire. Elle paraissait si recueillie et si satisfaite dans son éternel sommeil ; son mouvement semblait si bien dire, comme le Sonno de Michel-Ange : Ne m’éveillez pas ! qu’elle donnait envie d’être mort comme elle, sans convulsion, sans regret, semblable au voyageur qui trouve enfin un bon lit après les fatigues d’une longue route.

Comme je m’étonnais de l’abandon de ce cadavre si pro-