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coûtera pas un sou de plus ; c’est moi qu’elle sert, et non pas vous.

Les choses me paraissant arrangées ainsi, il ne me restait qu’à les accepter dans la mesure où elles me sembleraient acceptables. Mon déjeuner me fut servi par la jeune fille, dont la propreté, beaucoup moins suspecte que celle de sa tante, la vivacité et les délicates attentions m’eussent été très-agréables, si je ne sais quelle méfiance ne m’eût tenu sur la défensive. Il y avait, dans ses manières avec moi, une provocation évidente, mais une provocation tendre et comme maternelle dont je ne pouvais me défendre d’être encore plus touché que flatté. Je résolus d’en avoir le cœur net, et, comme, en se baissant vers moi pour me servir du café, sa joue effleurait la mienne plus que de raison, je lui donnai de grand cœur le baiser qu’elle semblait appeler.

Je fus étonné de la voir rougir et frissonner, comme si cette liberté l’eût prise au dépourvu. Je suppose pourtant qu’elle n’est pas grisette, Italienne et jolie, et qu’elle n’a pas couru le monde deux ans en qualité de soubrette élégante, sans avoir eu bon nombre d’aventures plus sérieuses. Aussi, pour en finir avec toute comédie de sa part ou de la mienne, je crus devoir lui poser nettement la question.

— Vous ai-je offensée ? lui dis-je en l’attirant près de moi.

— Non, répondit-elle sans hésiter, et en me caressant de son plus beau regard.

— Vous ai-je déplu ?

— Non.

— Vous me permettrez d’espérer… ?

— Tout, si vous m’aimez ; rien, si vous ne m’aimez pas.

Cela était dit si nettement, que j’en fus tout abasourdi.

— Qu’entendez-vous par aimer ? repris-je.

— Si vous le demandez, vous ne savez donc pas ce que c’est ?