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car enfin, je suis homme, je suis jeune, et j’ai un cœur comme un autre ! Je la contemplais tout éperdu, et il me semblait qu’elle avait raison d’être furieuse ; que je n’étais qu’un sot, un poltron, un butor, un petit esprit, un cœur glacé. Je ne pouvais lui répondre. J’entendais, au fond de la galerie, la voix de lady Harriet qui s’approchait.

— Continuez la promenade sans moi, je vous en supplie, lui dis-je. Je suis trop troublé, je deviens fou ; laissez-moi me remettre, me recueillir, avant de vous répondre… Tenez, on vient, nous causerons plus tard…

— Oui, oui, j’entends, dit-elle ; vous ferez vos réflexions, et vous nous quitterez sans me dire seulement adieu !

— De grâce, baissez la voix, votre tante… cet homme qui l’accompagne…

— Que m’importe ! s’écria-t-elle, comme décidée à tenter on effort suprême pour vaincre ma résistance. Ma tante sait que je vous aime ; je suis libre d’aimer, je suis libre de me perdre, je suis libre de mourir !…

En disant ces derniers mots, elle pâlit. Ses yeux se voilèrent ; il me sembla qu’elle allait tomber évanouie ; je la retins dans mes bras. Sa belle tête se pencha sur mon épaule, sa chevelure de soie inonda, enveloppa mon visage. Le sang gronda dans ma tête et reflua vers mon cœur ; je ne sais ce que je lui dis ; je ne sais si ma bouche rencontra ses lèvres : ce fut un délire rapide comme l’éclair. Lady Harriet, arrivant à l’angle du chemin couvert, n’avait plus qu’un pas à faire pour nous surprendre. Saisi de honte et de terreur, je pris la fuite, seul, cette fois, et j’aurais été me cacher je ne sais au fond de quel antre, si je n’eusse rencontré, au bas du sentier, lord B***, qui, redevenu le plus sage de nous deux, m’arrêta au passage.