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encore une expression ironique et courroucée, du moins à ce qu’il me sembla. Elle ne retira pourtant pas sa main, que je tenais toujours, mais non plus de manière à la meurtrir, et, comme son regard se portait vers le torrent, le mien s’y reporta aussi. On a beau se dire qu’on reviendra voir à loisir ces belles choses ; on se dit aussi qu’on sera peut-être empêché d’y revenir jamais, et qu’on ne retrouvera pas l’instant qu’on possède.

J’étais resté tombé sur mes genoux, non plus pour faire amende honorable à la beauté, mais pour regarder le dessous de l’excavation plus à mon aise. Comment vous dire ma surprise, lorsqu’au bout d’un instant, je sentis sur mon front, glacé par la vapeur du torrent, quelque chose de doux et de chaud comme un baiser ? Effaré, je retournai la tête, et je vis, à l’attitude de Medora, que ce n’était pas une hallucination.

Un cri de surprise, de colère réelle et de plaisir stupide tout à fait involontaire, sortit de moi et se perdit dans le vacarme du torrent. Je me reculai précipitamment, averti par ma conscience que tout élan de joie et de reconnaissance serait un mensonge de la vanité ou de la sensualité. La victoire eut peu de mérite : cette belle créature parlait médiocrement à mes sens, et nullement à mon cœur. Je ne saurais m’éprendre d’elle que par l’imagination, et j’en suis défendu par la certitude que son imagination seule s’est follement éprise de moi.

Eh quoi ! pas même son imagination ; je devrais dire son amour-propre, son dépit de mon indifférence, sa puérile jalousie de jolie femme contre la Daniella. Je me souvins, en cet instant, que celle-ci m’avait provoqué plus singulièrement encore en me baisant la main ; mais, de sa part, c’était l’action d’une servante qui croit, à tort, devoir s’humilier devant une supériorité sociale, et cette caresse, naï-