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qui pourrait la perdre si tu étais un lâche, ou l’unir à toi si tu étais un ambitieux. Tout cela n’est rien ; il n’y a ici de danger ni pour toi ni pour elle, si tu as la conscience de tes paroles et la netteté de tes idées ; mais te voilà gris, c’est-à-dire fou, porté violemment à l’audace vis-à-vis de la destinée, à l’enthousiasme pour la beauté, à l’enivrement de la gaieté, de la jeunesse et de la poésie devant cette scène grandiose de ta plus chère maîtresse, la nature ! Te voilà disposé à l’expansion délirante quand il faut que tu veilles, même sur tes regards, et que tu pèses tous les mots que tu vas dire pour n’être ni sot, ni méchant, ni fourbe, ni léger !

Comment toutes ces réflexions se pressèrent en moi dans l’espace de deux ou trois minutes tout au plus, c’est ce qu’il m’est impossible de vous expliquer ; mais elles s’y formulèrent si nettement, que je sentis la nécessité d’un violent effort sur moi-même pour me dégriser. Vous avez rêvé souvent, n’est-ce pas, que vous rêviez, et vous êtes venu à bout de vous arracher à des images pénibles et de vous réveiller par le seul fait de votre volonté ? Voilà précisément ce qui se passa en moi ; mais je ne saurais vous dire combien fut énergique et par conséquent douloureux ce combat contre les fumées du vin. J’en sortis vainqueur cependant, car, après m’être arrêté court à un tournant à angle vif qui me cachait Medora, je pris seulement le temps de me dire :

— Où est-elle ? Je ne la vois plus. Peut-être est-elle tombée dans quelque précipice. Eh bien, pourquoi pas ? Cela vaudrait beaucoup mieux pour elle que d’être le jouet d’un engouement déplacé et passager de sa part et de la mienne.

Après m’être dit ces sages paroles, je me sentis complètement rendu à mon état naturel, et seulement fatigué comme si j’eusse fait une longue course. Je rejoignis Medora, je l’abordai avec calme, et, au lieu des véhéments reproches que