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que des amas de détritus et de terres entraînées. Au moindre vent, ces arbres, déjà beaux, balançaient les glaçons au bout de leurs branches légères et pendantes avec un bruit rapide et sec qui rappelait celui d’une eau courant sur les cailloux.

Ce lieu sauvage était sublime. Christian voyait, à mille pieds au-dessous de lui, l’elf ou strœm (c’est ainsi qu’on appelle tous les cours d’eau) présenter les mêmes couleurs et les mêmes ondulations que s’il n’eût pas été glacé. À cette distance, il eût été impossible à un sourd de savoir s’il ne roulait pas ses flots avec fracas, car l’œil était absolument trompé par sa teinte sombre et métallique, toute boursouflée d’énormes remous blancs comme de l’écume. Pour Christian, dont l’oreille eût pu saisir le moindre bruit montant du fond de l’abîme, l’aspect agité de ce torrent impétueux contrastait singulièrement avec son silence absolu. Rien ne ressemble à un monde mort comme un monde ainsi pétrifié par l’hiver. Aussi le moindre symptôme de vie dans ce tableau immobile, une trace sur la neige, le vol court et furtif d’un petit oiseau, cause-t-il une sorte d’émotion. Cette surprise est presque de l’effroi, quand c’est un élan ou un daim dont la fuite retentissante éveille brusquement les échos endormis de la solitude.