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— Va-t-en, Marguerite ! se dit-il. Que viens-tu faire ici ? Un abîme nous sépare, et tu n’es pour moi qu’une vision dansant au clair de la lune. La femme que j’aurai sera une épaisse réalité… ou plutôt je n’aurai pas de femme ; je serai mineur, laboureur ou commerçant nomade comme mon hôte, pendant une vingtaine d’années, avant de pouvoir bâtir mon nid sur la pointe d’une de ces roches. Eh bien, à cinquante ans, je me fixerai dans quelque site grandiose, j’y vivrai en anachorète, et j’élèverai quelque enfant abandonné qui m’aimera comme j’ai aimé Goffredi. Pourquoi non ? Si, d’ici là, j’ai découvert quelque chose d’utile à mes semblables, ne serai-je pas heureux ?

C’est ainsi que Christian retournait dans sa tête le problème de sa destinée ; mais son rêve de bonheur, quelque modeste qu’il le construisît, s’écroulait toujours devant l’idée de la solitude.

— Et pourquoi donc depuis vingt-quatre heures, se disait-il, cette obsession d’amour sérieux ? Jusqu’à présent, j’avais peu pensé au lendemain. Voyons, ne puis-je appliquer à ces éveils et à ces cris du cœur la bonne philosophie que j’opposais, en causant avec Osmund, aux douceurs matérielles de l’existence ? Si j’ai su m’oublier, ou du moins me traiter rudement comme un être physique dans