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aucune autre preuve que mon dénûment. Les soupçons des bourgmestres de Troppaw m’avaient guéri de l’idée de raconter mes infortunes. J’avais perdu mes lettres de marque, je ne devais compter que sur moi-même pour les remplacer par des affirmations vraisemblables. Or, on n’est jamais vraisemblable quand on demande des secours. Je n’étais pas plus triste pour cela. J’étais déjà habitué à ma situation, et je remarquai une fois de plus dans ma vie que le lendemain arrive toujours pour ceux qui prennent patience avec le jour présent.

» Deux jours après, je me trouvais dans une pauvre taverne en face d’un garçon trapu et robuste, qui, les coudes appuyés sur la table et la figure cachée dans ses mains, paraissait dormir. On me servit, pour mon demi-swangsick, un pot de bière, du pain et du fromage. J’avais de quoi aller, à ce régime, pendant une huitaine de jours. Mon vis-à-vis, interrogé par l’hôtesse, ne répondit pas. Quand il releva la tête, je vis qu’il pleurait.

» — Vous avez faim, lui dis-je, et vous n’avez pas de quoi payer !

» — Voilà ! répondit-il laconiquement.

» — Eh bien, repris-je, quand il y a pour un, il y a pour deux ; mangez.

» Sans rien répondre, il tira son couteau de sa