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il me donnait une preuve d’attachement raisonné et d’instinct mystérieux vraiment extraordinaire. Il avait été volé et emmené ; dépouillé de son bagage, il s’était sauvé sans doute. On avait tiré sur lui ; il n’en avait tenu compte, il avait poursuivi sa course, il avait retrouvé ma trace, et, en véritable héros, il venait me rejoindre avec une balle dans la cuisse !

» Je vous avoue que j’eus avec lui une scène digne de Sancho Pança, et encore plus pathétique, car j’avais un blessé à secourir. J’extirpai la balle qui s’était logée dans le cuir de mon intéressant ami, et je lavai sa plaie avec le soin le plus touchant. La pauvre bête se laissa opérer et panser avec le stoïcisme qui appartient à son espèce, et avec la confiance intelligente dont la nôtre n’a pas apparemment le monopole. Mon âne retrouvé, c’était une ressource. La balle retirée, il ne boitait plus. Beau, grand et fort, il pouvait valoir… Mais cette lâche et exécrable pensée ne se formula pas en chiffres, et je dis à mon honneur que je la repoussai avec indignation. Il n’était pas question de vendre mon ami, mais de nourrir deux estomacs au lieu d’un.

» Je gagnai comme je pus la ville de Troppaw. Jean trouvait des chardons le long du chemin ; je me privai d’une partie de mon pain ce jour-là pour procurer quelque douceur à sa convalescence. À Trop-