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sans valeur, oublié ou dédaigné par les bandits, fixa mon attention : c’était une tasse, faite d’une petite noix de coco, dont je me servais en voyage pour ne pas boire au goulot de la bouteille, chose qui m’a toujours semblé ignoble. Je payais cher cette délicatesse : dans un moment où j’avais le dos tourné, Guido avait jeté un narcotique dans ma tasse. Une sorte de sel était cristallisé au fond. Guido n’était pas un mendiant, c’était un chef de voleurs. Les traces de piétinement qui m’environnaient attestaient le concours de plusieurs personnes.

» En regardant toutes choses autour de moi, je vis une inscription légèrement tracée à la craie sur le rocher, et je lus ces mots en latin :

« Ami, je pouvais te tuer, et j’aurais dû le faire ; mais je te fais grâce. Dors bien ! »

» C’était l’écriture de Guido Massarelli. Pourquoi eût-il dû me tuer ? Était-ce en souvenir des coups de canne que je lui avais donnés à Paris ? C’est possible. L’Italien conserve, au milieu des plus grands désastres de l’âme et de l’intelligence, le sentiment de la vengeance, ou tout au moins le souvenir de l’injure. Que pouvais-je faire pour me venger à mon tour ? Rien qui ne demandât du temps, de l’argent et des démarches. Or, j’étais sans le sou, et je commençais à avoir faim.