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son raisonnement l’épouvante ou le trouble. Versez-moi un bon verre de porto, Christian, et à votre santé. Après tout, je suis content d’avoir refusé le grand dîner de là-bas, et de me retrouver seul avec vous dans cette damnée chambre dont je veux me moquer quand même. Comme, de votre côté, vous me faites le sacrifice de manger sans faim et de m’écouter en dépit de vos préoccupations personnelles, je veux vous régaler de mon hallucination, qui est pour le moins aussi bizarre que la vôtre.

» Sachez donc, mon cher ami, que, pas plus loin qu’hier au soir et le lieu où nous voici, je m’étais oublié dans la chambre à côté, à étudier un procès assez intéressant, pendant que mon petit laquais, après beaucoup de façons, daignait enfin dormir. Je comptais prendre patience un quart d’heure auprès de lui, car j’avais faim et je ne savais pas que cette table fût servie ; mais le démon de l’étude, grâce auquel il n’y a point de sot métier, même celui d’avocat, m’emporta si loin, que j’oubliai tout, et que mon pauvre estomac fut forcé de me crier aux oreilles qu’il était onze heures du soir.

» En effet, je regardai à ma montre, il était onze heures. Que voulez-vous ! je suis habitué aux soins de ma gouvernante, qui m’avertit des heures de mes repas, et je ne me souvenais plus que, dans ce tau-