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gloutir après m’avoir brisée. C’était un état inexprimable de douleur et de joie, de désespoir et d’énergie. Mon ame orageuse se plaisait à ce ballottement funeste qui l’usait sans fruit et sans retour. Le calme lui faisait peur, le repos l’irritait. Il lui fallait des obstacles, des fatigues, des jalousies dévorantes à concentrer, des ingratitudes cruelles à pardonner, de grands travaux à poursuivre, de grandes infortunes à supporter. C’était une carrière, c’était une gloire ; homme, j’eusse aimé les combats, l’odeur du sang, les étreintes du danger ; peut-être l’ambition de régner par l’intelligence, de dominer les autres hommes par des paroles puissantes, m’eût-elle souri aux jours de ma jeunesse. Femme, je n’avais qu’une destinée noble sur la terre, c’était d’aimer. J’aimai vaillamment ; je subis tous les maux de la passion aveugle et robuste aux prises avec la vie sociale et l’égoïsme réel du cœur humain ; je résistai durant de longues années à tout ce qui devait l’étein-