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secret est le plus grand qu’un homme puisse confier à un autre homme.

Et d’abord sachez la cause de l’intérêt que j’éprouve pour Trenmor. C’est que cet homme est le plus malheureux que j’aie encore rencontré ; c’est que, pour lui, il n’est point resté au fond du calice une goutte de lie qu’il n’ait fallu épuiser ; c’est qu’il a sur vous une immense, une incontestable supériorité, celle du malheur.

Savez-vous ce que c’est que le malheur, jeune homme ? Vous entrez à peine dans la vie, vous en supportez les premières agitations, vos passions se soulèvent, accélèrent les mouvemens de votre sang, troublent la paix de votre sommeil, éveillent en vous des sensations nouvelles, des inquiétudes convulsives, des tourmens nerveux, et vous appelez cela souffrir ! Vous croyez avoir reçu le grand, le terrible, le solennel baptême du malheur ! Vous souffrez, il est vrai, mais quelle noble et précieuse souffrance