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me rabaisser au-dessous, que vous m’avez ainsi faite, ô mon Dieu ! Si c’est une destinée de prédilection, faites donc qu’elle me soit douce et que je la porte sans souffrance ; si c’est une vie de châtiment, pourquoi donc me l’avez-vous infligée ? Hélas ! étais-je coupable avant de naître !

Qu’est-ce donc que cette ame que vous m’avez donnée ? Est-ce là ce qu’on appelle une ame de poëte ? Plus mobile que la lumière et plus vagabonde que le vent, toujours avide, toujours inquiète, toujours haletante, toujours cherchant en dehors d’elle les alimens de sa durée et les épuisant tous avant de les avoir seulement goûtés ! Ô vie, ô tourment ! tout aspirer et ne rien saisir, tout comprendre et ne rien posséder ! arriver au scepticisme du cœur, comme Faust au scepticisme de l’esprit ! Destinée plus malheureuse que la destinée de Faust ; car il garde dans son sein le trésor des passions jeunes et ardentes, qui ont couvé en silence