Page:Sand - Journal intime.pdf/72

Cette page n’a pas encore été corrigée

je ne sais plus ce que tu es. Il me semble que, comme les autres hommes, tu as des taches, car souvent tu me fais souffrir, et la perfection n’est pas dans l’homme. Mais j’aime tes taches, j’aime mes souffrances. J’aime mieux tes défauts que les qualités des autres. Je t’accepte, je t’ai et tu m’as aussi, car je n’ai rien conservé de moi-même et ma vie, et ma pensée, et mes croyances, et mes actions, j’ai tout soumis à toi. J’ai tout subordonné à ton plaisir, car je t’ai choisi avec la pensée que tu devais être tout pour moi, et je me suis tellement inoculé cette pensée que je n’ai plus de pensée qui me soit propre. Tu peux m’égarer, tu peux me perdre, tu peux me conduire à la mort et à l’infamie. Le monde n’existe plus pour moi. La morale et la philosophie n’ont plus de sens. Il n’y a de raison que ton instinct, il n’y a de vérité que mon amour. Il n’y a d’avenir et de but que dans le tien. Bonheur, malheur, qu’importe ? J’accepte tous les maux, je subirais toutes les tortures. Je me glorifierais de toutes les abjections, pourvu que je puisse adoucir pour toi l’amertume de la vie et déposer la mienne dans ton sein. » Non. Non. Piffoël ! Docteur en psychologie, tu n’es qu’un sot. Ce n’est pas là le langage que l’homme veut entendre. Il méprise parfaitement le dévouement, car il croit que le dévouement lui est naturellement acquis, par le seul fait d’être sorti du ventre de