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6 juin.

Temps superbe. Affreux mal de gorge et noire mélancolie depuis trente-six heures,

Quund, après la désolation de l’hiver, le prin¬ temps apporte la joie à tous les êtres animés, l’homme est celui de tou» qui savoure cette joie Je plus vivement et le plus délicatement, mais il est celui de tous qui se blase le plus vite el le plus complètement sur les délices qui lui viennent de la nature extérieure. Il attribue follement scs perturbations secrètes à celles de l’atmosphère, il excuse ainsi l’inégalité de son humeur, la sus¬ ceptibilité misérable de ses fibres nerveuses. Mais quand le soleil brille dans un ciel de saphir, quand un vent joyeux chante parmi les feuilles et berce mollement les branches, quand tout s’enivre de parfums, d’air pur. de lumière et d’amour, pourquoi cette créature rcchignce pour¬ suit-elle son inconsolable gémissement ? Pourquoi sa puissance de bonheur ne va-t-elle pas seule¬ ment jusqu’au huitième beau jour de l’année ?

Il faut partir demain. Méchante destinée, où sont tes promesses d’espoir ? Tu n’oserais plus me tenter, tu trotterais plus me pousser en me disant : va et tu seras heureux.Tu es muet car tu suis que Je te méprise. Où que j’aille, j’irai sans toi. J’irai seul. Triste et inflexible envers moi-même, à cause de moi-même.