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Si tu étais aimé. Piffoël, tu serais ambitieux, et tu n’es pas ambitieux parce que tu n’es pas aimé.

Tu es très sage, Piffoël, extrêmement sage. Tu es très philosophe. Tu jettes un coup d’œil très lucide sur ta vie, tu pèses d’une main très ferme tous ces misérables hochets dont tu ne sais pas être avide. Je t’en fais bien mon compliment, cher Piffoël.

Je t’en félicite en vérité !

Mélancolique animal.

Quand Franz joue du piano, je suis soulagé. Toutes mes peines se poétisent, tous mes instincts s’exaltent. Il fait surtout vibrer la corde généreuse. Il attaque aussi la note colère, presque à l’unisson de mon énergie, mais il n’attaque pas la note haineuse. Moi la haine me dévore. La haine de quoi ? Mon Dieu, ne trouverai-je jamais personne qui vaille la peine d’être haï ? Faites-moi cette grâce, je ne vous demanderai plus de me faire trouver celui qui mériterait d’être aimé.

Pourquoi y aurait-il tant de charmes dans la haine assouvie ? C’est qu’il y aurait le mérite de la générosité, et qu’on pourrait se sentir grand, ne fût-ce qu’une heure dans la vie. On croirait en toi, alors, toi jaloux qui gardes toute ta grandeur pour ta jouissance inconnue.

J’aime ces phrases entrecoupées qu’il jette sur le piano, et qui restent un pied en l’air dan-