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de sa vie toutes les choses séduisantes et nuisibles, il y n un intervalle de lutte entre le savoir et le pouvoir qui est le temps le plus pénible et le plus dangereux de l’existence humaine. L’expérience amène In connaissance. La volonté amène le détachement.

Quand on sait et qu’on est encore jeune d’esprit, quand on a le cœur refroidi et l’imagination encore active, ardente, quand on se sent encore tressaillir et brûler à l’aspect des anciennes joies, sans pouvoir s’y attacher et s’y prendre, on est vraiment à plaindre. C’est un état maladif plein d’agitation, de délire et d’injustice. Le sang bouillonne encore, l’âme encore riche demande à se répandre. Elle cherche avec anxiété un aliment à sa puissance. Mais au-devant de toutes ses aspirations veillent les pâles fantômes de ses illusions perdues. La mémoire du passé, rigide censeur du présent, lui désenchante l’avenir et le souille glacé de l’expérience flétrit les pâles fleurs que lui jette un espoir tremblant.

Cette lutte est si terrible pour les âmes vigoureuses qu’elles s’y brisent ou s’y flétrissent. Désirer sans pouvoir espérer, c’est une torture dont rien dans les désastres de In vie sociale ne peut égaler l’amertume. Il arrive souvent que l’esprit le plus droit, que l’âme la plus équitable ne se peuvent préserver d’y contracter des qualités contraires à leur nature, la dureté, l’ironie, le dédain, l’injustice sous toutes ses formes.