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de l’esprit, mais involontaire, impérieuse et faite en conscience, car je n’y résiste plus, car je souffre trop quand je veux m’y soustraire et accepter l’individu qui se présente à mes regards comme un individu détaché de la chaine de ceux qui remplissent mon passé ; jusqu’à ce que je l’aie rattaché à cette chaîne, cet être-là m’est suspect, gênant, antipathique, c’est pour moi non le secret (car la chose reste mystérieuse et bizarre à mes propres veux, tant elle est peu systématique !) mais c’est la pierre de touche de mes sympathies, spontanées et durables ou de mes antipathies subites et invincibles. Ô Dieu, quel effroi, quelle répugnance m’inspire l’individu dont je ne puis retrouver l’analogue qu’après de longs efforts de mémoire ! Ma mémoire est si heureusement organisée qu’elle ensevelit dans de lourdes ténèbres le nom et la figure des méchants dont les actes ont offensé mon cœur ou ma raison ; à la moindre occasion elle les plante là et se détache deux avec une admirable légèreté. Je vous remercie, chère mère Nature, de m’avoir fuit ce présent d’une profonde apathie pour les ressentiments particuliers. Les impressions spontanées me molestent bien plus que les souvenirs. Voilà pourquoi je crains tant les personnes dont je ne puis dire bien vite : Oh ! toit je te sais je te tiens, tu es de la famille. Combien de fois dans un salon, dans une boutique, dans la rue, j’ai rencontré de ces ligures qui m’ont