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18 janvier 1849

Pauline[1] part après-demain pour Loodrea. Je ne dirai pas que j’en ai regret. Elle va ou l’emportent sa vocation, son dessein, son génie. Mais je ne voudrais pas qu’on me dise que je ne la reverrai plus. C’est la seule femme depuis dix ans que j’aie aimée aussi tendrement. C’est la seule femme depuis Alicia la religieuse que j’aie aimée avec un enthousiasme sans mélange et je crois bien que, dans toute ma vie, elle sera la seule que je puisse et doive chérir et admirer avec raison, avec certitude. Pourtant, c’est une enfant de dix-neuf ans, et je ne crois pas que l’abîme que t’âqe met entre nous pourra être comblé un jour. Je ne le crois pas. Elle me paraît douée d’une raison forte qui l’empêchera, même dans l’âge des passions, de comprendre celles des autres. Et puis quoi ? L’art, rien que l’art dans sa vie, du moins j’en augure ainsi. Mais qu’en sait-on pourtant ? C’est un être si complet, si bien organisé, si expansif, si généreux, si tendre et si naïf ! Admirable nature, quel enfant tu fais sortir tout d’un coup du sein de la divine humanité ! Il me semble que j’aime Pauline du même amour sacré que j’ai pour mon

  1. Pauline Garcia (madame Viardot).