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moins que Buloz dans le sien. Ta figure est expressive comme celle d’Enrico[1] et tn âme n’est pas plus agitée que cette nuit paisible et silencieuse éclairée par la lune et blanche d’un brouillard argenté. Quelle belle âme tu as, ô mon grand Piffoël ! Tu boirais le sang de tes enfants, dans le crâne de ton meilleur ami, et tu n’aurais pas seulement la colique. Le soleil te tomberait sur le nez sans te causer le plus léger éternuement et si Orion se mettait à danser la sarabande sur la cime des sapins, tu te mettrais à rire, ni plus ni moins que d’un bon mot d’Arnal. Tu es donc d’un noble sang-froid et on pourrait te faire manger du granit comme du beurre sans que tu vinsses à t’ébrécher une seule dent.

Que veux-tu, mon honorable ami ? Il m’est impossible de m’arrêter. La morale de cette farce qu’il te plaît d’appeler ma vie est la même que celle de la légende du Juif errant. Il m’est défendu de mourir. Il m’est défendu de me reposer. Je sais que ma force est inépuisable, c’est pourquoi tu me vois calme. Je sais que mon repos est impossible, c’est pourquoi tu me vois indifférent au genre de travail qui se présente.

Je sais que je ne mourrai pas à volonté, c’est pourquoi je ne compte plus les mauvais jours et n’en attends pas de meilleurs.

  1. Professeur italien ?