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fiantes. Quand chaque jour n’apporte pas l’annonce d’un nouveau désastre, on essaye d’espérer. Les enfants qui partent volontairement sont gais. Les ouvriers chantent et font le dimanche au cabaret, comme si de rien n’était.

Je tousse affreusement la nuit ; c’est du luxe, je n’avais pas besoin de cette toux pour ne pas dormir. Toute la ville se couche à dix heures. Je prolonge la veillée avec mon ami Charles ; nous causons jusqu’à minuit. Depuis plusieurs années qu’il est aveugle, il a beaucoup acquis ; il voit plus clair avec son cerveau qu’il n’a jamais vu avec ses yeux. Cette lumière intérieure tourne aisément à l’exaltation. Sur certains points, il est optimiste ; je le suis devenue aussi en vieillissant, mais autrement que lui. Je vois toujours plus radieux l’horizon au-delà de ma vie ; je ne crois pas, comme lui, que nous touchions à des événements heureux ; je sens venir une crise effroyable que rien ne peut détourner, la crise sociale après la crise politique, et je rassemble toutes les forces de mon âme pour me rattacher