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rine me trouva triste aussi, et je passai la nuit à me tourmenter, à m’accuser, à me défendre, à me chercher des torts dans le passé, dans l’avenir, dans le présent même, afin d’avoir à m’en disculper en accusant ma destinée et en frémissant d’être entraîné par elle vers un monde inconnu de joies suprêmes ou de tortures odieuses.

Cette crise fut la dernière, et, si je la rapporte dans ce récit fidèle de mes amours, c’est pour compléter l’étude de mon propre cœur et l’aveu des misères du cœur humain en général. La grande résolution du contrat conjugal est affaire d’enthousiasme, acte de foi par conséquent dans la première jeunesse. À vingt ans, j’eusse fait sans épouvante le serment de l’éternel amour ; à trente ans, je sentais la grandeur de l’engagement que j’allais prendre, et, chose étrange, ma constance si bien éprouvée ne me donnait que plus de méfiance de moi-même.

Quand je revis ma fiancée le lendemain, je trouvai de l’altération sur son visage, comme si elle eût ressenti les mêmes anxiétés que moi. Interrogée sur son abattement, elle me raconta avec une admirable candeur tout ce que j’aurais pu lui raconter moi-même, à savoir qu’elle n’avait pas dormi, qu’elle avait creusé la vision de notre avenir, et que ma figure lui était apparue trouble et inquiète, enfin qu’elle avait pleuré