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de mon cœur, et je t’y ai gardé comme mon unique trésor. Depuis trois ans, il ne s’est pas passé un jour, une heure, où je n’aie été plongée dans le ravissement de mon souvenir. C’est là ce qui m’a fait vivre, c’est là ce qui m’a donné la force d’être irréprochable dans mes actions depuis trois ans, comme j’étais irréprochable dans mes pensées. Je voulais me purifier par une vie régulière, par des habitudes de fidélité. J’ai essayé d’aimer Félix de S*** comme on aime un mari quand on n’a pas d’amour pour lui et qu’on respecte son honneur. Et lui, le crédule jeune homme, s’est cru aimé du jour où j’ai eu une véritable passion dans l’âme pour un autre. Mais il a eu raison de m’estimer et de me respecter au point de vouloir me donner son nom. Ne lui avais-je pas sacrifié la satisfaction du seul amour que j’aie véritablement senti ? Aussi, quand j’ai accepté ce nom et cette formalité significative du mariage, j’ai songé à toi, Jacques, je me suis dit : Si Félix revient à la vie, du moins Jacques saura que j’ai mérité d’être réhabilitée ; s’il succombe, Jacques me reverra purifiée, ce ne sera plus une courtisane qu’il pressera en frissonnant contre sa poitrine, ce sera la comtesse de S***, la veuve d’un honnête homme, une femme indépendante de tout