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IMPRESSIONS ET SOUVENIRS.

ploie ou se prodigue, comment l’homme s’utilise ou se dépense ; il ne saura pas comment la vie se produit et se renouvelle, comment l’homme se sent et s’appartient. Le tumulte de l’existence sociale fait que nous agissons, la plupart du temps, sans savoir pourquoi, et que nous prenons nos passions ou nos appétits pour des besoins réels. Le recueillement est la chose qui manque le plus et dont tout nous détourne. La société est lancée à toute vapeur dans une vie artificielle de tous points, appétit ou vanité à satisfaire sous toutes les formes ; elle n’a pas d’autre but, d’autre illusion, d’autre promesse dans l’appréciation des masses.

Réagissons un peu, c’est-à-dire le plus que nous pourrons, car, hélas ! ce ne sera encore qu’un peu, contre ce torrent qui emporte notre progéniture dans ses ondes troublées. Ne réduisons pas notre horizon aux limites d’un champ ou à la clôture d’un jardin potager. Ouvrons l’espace à la pensée de l’enfant ; faisons-lui boire la poésie de cette création que notre industrie tend à dénaturer complétement avec une rapidité effrayante. Eh quoi ? dès à présent, le jeune homme qui sent vivement cette poésie est un être exceptionnel, car, dans la plupart des familles de nos jours, on est convaincu que contempler c’est perdre son temps, que rêver est habitude de fainéantise ou tendance à la folie. Et pourtant on est sensible à la