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IMPRESSIONS ET SOUVENIRS.

beauté de ces choses, et il y a beaucoup plus de personnes capables de la sentir que d’artistes intéressés à la traduire. Tout le monde a son grain d’intelligence et de poésie, et il ne faut pas pour cela une grande éducation de développement spécial. Tout le monde a donc droit à la beauté et à la poésie de nos forêts, de celle-là particulièrement, qui est une des belles choses du monde, et la détruire serait, dans l’ordre moral, une spoliation, un attentat vraiment sauvage à ce droit de propriété intellectuelle qui fait de celui qui n’a rien que la vue des belles choses, l’égal, quelquefois le supérieur de celui qui les possède.

La rage de la possession individuelle doit avoir certaines limites que la nature a tracées. Arrivera-t-on à prétendre que l’atmosphère doit être partagée, vendue accaparée par ceux qui auront le moyen de l’acheter ? Si cela pouvait se faire, voyez-vous d’ici chaque propriétaire balayant son coin de ciel, entassant les nuages chez son voisin, ou, selon son goût, les parquant chez lui et demandant une loi qui défende à l’homme sans argent de regarder l’or du couchant ou la splendeur fantastique des nuées chassées par la tempête ? J’espère que cet heureux temps ne viendra pas, mais je crois que la destruction des belles forêts est un rêve non moins monstrueux, et qu’on ne doit pas plus retirer les grands arbres du domaine public intellectuel