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HISTOIRE

que j’ai dormi de la sorte, car j’ai fait des rêves abominables.

— C’est bon, c’est bon, reprit M. Bourdon, il faut s’habituer à tout. Mais où en étions-nous ?

— Vraiment, monsieur, dit Gribouille, je n’en sais rien. Il me semblait que vous me disiez de tuer, de piller, de manger.

— C’est quelque chose comme cela, reprit M. Bourdon ; je vous expliquais l’histoire naturelle des frelons et des abeilles. Celles-ci travaillent pour leur usage, vous disais-je ; elles sont fort habiles, fort actives, fort riches et fort avares. Ceux-là ne travaillent pas si bien et ne savent pas faire le miel ; mais ils ont un grand talent, celui de savoir prendre. Les fourmis ne sont pas sottes non plus, elles bâtissent des cités admirables ; mais elles les remplissent de cadavres pour se nourrir pendant l’hiver, et il n’est point de nation plus pillarde et mieux unie pour faire du mal aux autres. Vous voyez donc bien que, dans ce monde, il faut être voleur ou volé, meurtrier ou meurtri, tyran ou esclave. C’est à vous de choisir ; voulez-vous conserver comme les abeilles, amasser comme les fourmis, ou piller comme les frelons ? Le plus sûr, selon moi, est de laisser travailler les autres, et de prendre, prendre, prendre ! mon garçon, par force ou par adresse, c’est le seul moyen d’être