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DE GRIBOUILLE

les hommes ? Au reste, c’est tout naturel, puisqu’elles sont bêtes, et ce serait aux hommes de leur donner un meilleur exemple. Allons, va-t’en, et sois heureux ; je ne te tuerai point, car tu m’as pris pour ton ennemi, et je ne le suis pas. Ta mort ne guérirait pas la piqûre que tu m’as faite. »

Le bourdon, au lieu de répondre, se mit à faire le gros dos dans la petite main de Gribouille et à passer ses pattes sur son nez et sur ses ailes, comme un bourdon qui se trouve bien et qui oublie les sottises qu’il vient de faire.

« Tu n’as guère de repentir, lui dit Gribouille, et encore moins de reconnaissance. Je suis fâché pour toi de ton mauvais cœur, car tu es un beau bourdon, je n’en saurais disconvenir : tu es le plus gros que j’aie jamais vu, et tu as une robe noire tirant sur le violet qui n’est pas gaie, mais qui ressemble au manteau du roi. Peut-être que tu es quelque grand personnage parmi les bourdons, c’est pour cela que tu piques si fort. »

Ce compliment, que Gribouille fit en souriant, quoique le pauvre enfant eût encore la larme à l’œil, parut agréable au bourdon, car il se mit à frétiller des ailes. Il se releva sur ses pattes, et tout d’un coup, faisant entendre un chant sourd et grave, comme celui d’une contre-basse, il prit sa volée et disparut.