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HISTOIRE

der son pain, il le lui donnait vitement, se disant à part soi : « Je sens ce qu’on souffre quand on a faim, et ne dois point le laisser endurer aux autres. »

C’est Gribouille qui, des premiers, imagina de se frotter les pieds et les mains avec de la neige pour n’avoir point d’engelures. C’est lui qui donnait les jouets qu’il aimait le plus aux enfants qu’il aimait le moins, et quand on lui demandait pourquoi il agissait ainsi, il répondait que c’était pour venir à bout d’aimer ces mauvais camarades, parce qu’il avait découvert qu’on s’attache à ceux qu’on a obligés. Avait-il envie de dormir dans le jour, il se secouait pour se réveiller, afin de mieux dormir la nuit suivante. Avait-il peur, il chantait pour donner la peur à ceux qui la lui avaient donnée. Avait-il envie de s’amuser, il retardait jusqu’à ce qu’il eût fini son travail, afin de s’amuser d’un meilleur cœur après avoir fait sa tâche. Enfin il entendait à sa manière le moyen d’être sage et content ; mais, comme ses parents l’entendaient tout autrement, il était moqué et rebuté pour ses meilleures idées. Sa mère le fouettait souvent, et son père le repoussait chaque fois que l’enfant venait pour le caresser.

« Va-t’en de là, imbécile, lui disait ce brutal de père, tu ne seras jamais bon à rien. »

Ses frères et sœurs, le voyant haï, se mirent à le mé-