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L’esprit du corps suggère à ses meilleurs membres un grand fond de prosélytisme, qui chez les mauvais est vanité ardente, mais toujours collective. Un jésuite qui, rencontrant une âme douée de quelque vitalité, la laisserait s’étioler ou s’annihiler dans une quiétude stérile, aurait manqué à son devoir et à sa règle. Ainsi M. de Chateaubriand faisait peut-être à dessein, peut-être sans le savoir, l’affaire des jésuites, en appelant les enchantemens de l’esprit et les intérêts du cœur au secours du christianisme. Il était héroïque, il était novateur, il était mondain ; il était confiant et hardi avec eux, ou à leur exemple.

Après avoir lu avec entraînement, je savourai donc son livre avec délices, rassurée enfin par mon bon père et criant à mon âme inquiète : En avant ! en avant ! Et puis je me mis aux prises sans façon avec Mably, Locke, Condillac, Montesquieu, Bacon, Bossuet, Aristote, Leibnitz, Pascal, Montaigne, dont ma grand’mère elle-même m’avait marqué les chapitres et les feuillets à passer. Puis, vinrent les poètes ou les moralistes : La Bruyère, Pope, Milton, Dante, Virgile, Shakspeare, que sais-je ? Le tout sans ordre et sans méthode, comme ils me tombèrent sous la main, et avec une facilité d’intuition que je n’ai jamais retrouvée depuis, et qui est même en dehors de mon organisation lente à comprendre. La cervelle était jeune, la mémoire toujours fugitive, mais le sentiment rapide et la volonté tendue.