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retombais sur moi-même, avec mon corps souffreteux et endolori, avec le souvenir de mes chagrins de famille ; gai, quand le rire de mes compagnes, la brusque interpellation de ma chère Mary, la plaisanterie originale de ma romanesque Isabelle venaient m’arracher au sentiment de ma propre existence et me communiquer la vie qui était dans les autres.

Chez ma bonne maman, tout mon passé amer, tout mon présent tourmenté, tout mon avenir incertain me revenaient. On s’occupait trop de moi, on me questionnait, on me trouvait changée, alourdie, distraite. Quand la nuit était venue, on me reconduisait au couvent. Ce passage du petit salon chaud, parfumé, éclairé, de ma grand’mère, au cloître obscur, vide et glacé : des tendres caresses de la bonne maman, de la petite mère et du grand-oncle, au bonsoir froid et rechigné des portiers et des tourières me navrait le cœur un instant. Je frissonnais en traversant seule ces galeries pavées de tombeaux : mais au bout du cloître déjà la suavité de la retraite se faisait sentir. La madone Vanloo avait l’air de sourire pour moi. Je n’étais pas dévote envers elle, mais déjà sa petite lampe bleuâtre me jetait dans une rêverie vague et douce. Je laissais derrière moi un monde d’émotions trop fortes pour mon âge, et d’exigences de sentiment qu’on ne m’avait pas assez ménagées. J’entendais la voix de Mary m’appeler avec impatience. Les petites bêtes