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J’ai souvent rêvé de lointains voyages. Les voyages m’auraient tentée si je n’avais eu le projet de vivre pour ma mère. Eh bien, voilà ! Si ma mère ne veut pas de moi, quelque jour je partirai, j’irai au bout du monde. Je verrai l’Etna et le mont Gibel ; j’irai en Amérique, j’irai dans l’Inde. On dit que c’est loin, que c’est difficile, tant mieux ! On dit qu’on y meurt, qu’importe ? En attendant, vivons au jour le jour, vivons au hasard, puisque rien de ce que je connais ne me tente ou ne me rassure ; laissons venir l’inconnu. »

Là-dessus, j’essayai de vivre sans songer à rien, sans rien craindre et sans rien désirer. Cela me fut d’abord bien difficile ; j’avais pris une telle habitude de rêver et d’aspirer à un bien futur, que, malgré moi, je me reprenais à y songer. Mais la tristesse devenait alors si noire et le souvenir de la scène qu’on m’avait faite si étouffant, que j’avais besoin d’échapper à moi-même, et que je courais aux champs m’étourdir avec les gamins et les gamines qui m’aimaient et m’arrachaient à ma solitude.

Quelques mois se passèrent alors qui ne me profitèrent à rien et dont je me souviens confusément, parce qu’ils furent vides. Je m’y comportai fort mal, ne travaillant que juste ce qu’il fallait pour n’être pas gronder, me dépêchant, pour ainsi dire, d’oublier vite ce que je venais d’apprendre, ne méditant plus sur mon travail