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Durant ces trois jours qui l’avaient tant fait souffrir, elle chercha apparemment le plus prompt et le plus sûr moyen de me rattacher à elle-même et à ses bienfaits dont je tenais si peu de compte, en brisant dans mon jeune cœur la confiance et l’amour qui me portaient vers une autre. Elle réfléchit, elle médita, elle s’arrêta au plus funeste de tous les partis.

Comme je m’étais mise à genoux contre son lit et que j’avais pris ses mains pour les baiser, elle me dit d’un ton vibrant et amer que je ne lui connaissais pas : « Restez à genoux et m’écoutez avec attention, car ce que je vais vous dire vous ne l’avez jamais entendu et jamais plus vous ne l’entendrez de ma bouche. Ce sont des choses qui ne se disent qu’une fois dans la vie, parce qu’elles ne s’oublient pas, mais, faute de les connaître, quand, par malheur, elles existent, on perd sa vie, on se perd soi-même. »

Après ce préambule qui me fit frissonner, elle se mit à me raconter sa propre vie et celle de mon père, telles que je les ai fait connaître, puis celle de ma mère, telle qu’elle croyait la savoir, telle du moins qu’elle la comprenait. Là, elle fut sans pitié et sans intelligence, j’ose le dire, car il y a dans la vie des pauvres, des entraînemens, des malheurs et des fatalités que les riches ne comprennent jamais et qu’ils jugent comme les aveugles des couleurs.