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ce que je commençais à ne plus souffrir de Rose. À l’habitude, il était débonnaire avec moi, et me savait un gré infini de la promptitude avec laquelle je comprenais ses enseignemens, quand ils étaient clairs. Mais, en de certains jours, j’étais si distraite, qu’il lui arriva enfin de me jeter à la tête un gros dictionnaire latin. Je crois qu’il m’aurait tuée si je n’eusse lestement évité le boulet en me baissant à propos. Je ne dis rien du tout, je rassemblai mes cahiers et mes livres, je les mis dans l’armoire, et j’allai me promener. Le lendemain, il me demanda si j’avais fait ma version : « Non, lui dis-je, je sais assez de latin comme cela, je n’en veux plus ! » Il ne m’en reparla jamais, et le latin fut abandonné. Je ne sais pas comment il s’en expliqua avec ma grand’mère ; elle ne m’en parla pas non plus. Probablement Deschartres eut honte de son emportement et me sut gré de lui en garder le secret, en même temps qu’il comprit que ma résolution de ne plus m’y exposer était irrévocable. Cette aventure ne m’empêcha pas de l’aimer ; il était pourtant l’ennemi juré de ma mère, et je n’avais jamais pu prendre mon parti sur les mauvais traitemens qu’il avait fait essuyer à Hippolyte. Un jour qu’il l’avait cruellement battu, je lui avais dit : « Je vais le dire à ma bonne maman, » et je l’avais fais résolument. Il avait été sévèrement blâmé, à ce que je présume, mais il ne m’en avait pas gardé de ressentiment.