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gagné sa journée, et lorsque Deschartres me grondait, je lui rappelais l’histoire de Ruth et de Booz.

C’est de cette époque particulièrement que datent les grandes et fastidieuses instructions que le bon Deschartres entreprit de me faire goûter sur les avantages et les plaisirs de la propriété. Je ne sais pas si j’étais prédisposée à prendre la contre-partie de sa doctrine, ou si ce fut la faute du professeur, mais il est certain que je me jetai par réaction dans le communisme le plus aveugle et le plus absolu. On pense bien que je ne donnais pas ce nom à mon utopie, je crois que le mot n’avait pas encore été créé ; mais je décrétai en moi-même que l’égalité des fortunes et des conditions était la loi de Dieu, et que tout ce que la fortune donnait à l’un, elle le volait à l’autre. J’en demande bien pardon à la société présente, mais cela m’entra dans la tête à l’âge de douze ans, et n’en sortit plus que pour se modifier en se conformant aux nécessités morales des faits accomplis. L’idéal resta pour moi dans un rêve de fraternité paradisiaque, et lorsque je devins catholique plus tard, ce rêve s’appuya sur la logique de l’Évangile. J’y reviendrai.

J’exposais naïvement mon utopie à Deschartres. Pauvre homme ! s’il vivait aujourd’hui, avec ses instincts réactionnaires développés par les circonstances, dans quelles fureurs certaines idées nouvelles lui feraient achever ses jours !