Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/247

Cette page n’a pas encore été corrigée

me faire un monde intérieur à ma guise, un monde fantastique et poétique ; peu à peu j’eus besoin d’en faire aussi un monde religieux ou philosophique, c’est-à-dire moral ou sentimental. Vers l’âge de onze ans, je lus l’Iliade et la Jérusalem délivrée. Ah ! que je les trouvais courtes, que je fus contrariée d’arriver à la dernière page ! je devins triste et comme malade de chagrin de les voir sitôt finies. Je ne savais plus que devenir ; je ne pouvais plus rien lire ; je ne savais auquel de ces deux poèmes donner la préférence : je comprenais qu’Homère était plus beau, plus grand, plus simple ; mais le Tasse m’intéressait et m’intriguait davantage. C’était plus romanesque, plus de mon temps et de mon sexe. Il y avait des situations dont j’aurais voulu que le poète ne me fît jamais sortir, Herminie chez les bergers, par exemple, ou Clorinde délivrant du bûcher Olinde et Sofronie. Quels tableaux enchantés je voyais se dérouler autour de moi ! Je m’emparais de ces situations, je m’y établissais pour ainsi dire ; les personnages devenaient miens ; je les faisais agir ou parler, et je changeais à mon gré la suite de leurs aventures, non pas que je crusse mieux faire que le poète, mais parce que les préoccupations amoureuses de ces personnages me gênaient, et que je les voulais tels que je les sentais, c’est-à-dire enthousiastes seulement de religion, de guerre ou d’amitié. Je préférais la martiale Clorinde à la timide Herminie :