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e que je pus trouver le moyen d’y rentrer sans être observée, et je courus au portrait, le cœur palpitant d’espérance ; mais j’eus beau secouer et retourner l’image du vieux Francueil, on ne lui avait rien confié pour moi ; ma mère, ne voulant pas entretenir dans mon esprit une chimère qu’elle regrettait déjà sans doute d’y avoir fait naître, avait cru ne pas devoir me répondre. Ce fut pour moi le dernier coup. Je restai tout le temps de ma récréation immobile et abrutie dans cette chambre devenue si froide, si mystérieuse et si morne. Je ne pleurais plus, je n’avais plus de larmes, et je commençais à souffrir d’un mal plus profond et plus déchirant que l’absence. Je me disais que ma mère ne m’aimait pas autant qu’elle était aimée de moi ; j’étais injuste en cette circonstance ; mais, au fond, c’était la révélation d’une vérité que chaque jour devait confirmer. Ma mère avait pour moi, comme pour tous les êtres qu’elle avait aimés, plus de passion que de tendresse. Il se faisait dans son âme comme de grandes lacunes dont elle ne pouvait se rendre compte. À côté de trésors d’amour, elle avait des abîmes d’oubli ou de lassitude. Elle avait trop souffert, elle avait besoin souvent de ne plus souffrir : et moi j’étais comme avide de souffrance, tant j’avais encore de force à dépenser sous ce rapport-là.

J’avais pour compagnon de mes jeux un petit paysan plus jeune que moi de deux années, à