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, me dit-elle, tu ne sais pas ce que c’est que la misère pour de jeunes filles ! moi, je le sais, et je ne veux pas que Caroline et toi passiez par où j’ai passé quand je me suis trouvée orpheline et sans pain à quatorze ans ; je n’aurais qu’à mourir et à vous laisser comme cela ! Ta grand’mère te reprendrait peut-être, mais elle ne prendra jamais ta sœur, et que deviendrait-elle ? Mais il y a un moyen d’arranger tout. On peut toujours être assez riche en travaillant, et je ne sais pas pourquoi, moi qui sais travailler, je ne fais plus rien, et pourquoi je vis de mes rentes comme une belle dame. Ecoute-moi bien ; je vais essayer de monter un magasin de modes. Tu sais que j’ai été déjà modiste et que je fais les chapeaux et les coiffures mieux que les perruches qui coiffent ta bonne maman tout de travers, et qui font payer leurs vilains chiffons les yeux de la tête. Je ne m’établirai pas à Paris, il faudrait trop d’argent ; mais, en faisant des économies pendant quelques mois, et en empruntant une petite somme que ma sœur ou Pierret me feront bien trouver, j’ouvrirai une boutique à Orléans, où j’ai déjà travaillé. Ta sœur est adroite, tu l’es aussi, et tu auras plus vite appris ce métier-là que le grec et le latin de M. Deschartres. À nous trois, nous suffirons au travail ; je sais qu’on vend bien à Orléans et que la vie n’est pas très chère. Nous ne sommes pas des princesses, nous vivrons de peu, comme du temps de la rue Grange-Batelière ;