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jolie, rien ne peut faire que, dans ce jardin, de plain pied avec cette campagne, on ne la voie pas de niveau et sans étendue. Il aurait fallu exhausser de cinquante pieds le sol du jardin et chaque ouverture pratiquée dans les massifs n’aboutissait qu’à nous faire jouir de la vue d’une grande plaine labourée. On élargissait la brèche, on abattait de bons vieux arbres qui n’en pouvaient mais Mme de Béranger traçait des lignes sur le papier, tendait de sa fenêtre des ficelles aux ouvriers, criait après eux, montait, descendait, retournait, s’impatientait et détruisait le peu d’ombrage que nous avions, sans nous faire rien gagner en échange. Enfin, elle y renonça, Dieu merci, car elle eût pu faire table rase : mais Deschartres lui observa que ma grand’mère, dès qu’elle serait en état de sortir et de voir par ses yeux, regretterait peut-être beaucoup ses vieilles charmilles.

Je fus très frappée de la manière dont cette dame parlait aux ouvriers. Elle était beaucoup trop illustre pour daigner s’enquérir de leurs noms et pour les interpeller en particulier. Cependant elle avait affaire de sa fenêtre à chacun d’eux tour à tour, et pour rien au monde elle ne leur eût dit : « Monsieur, ou mon ami, ou mon vieux, » comme on dit en Berry, quel que soit l’âge de l’être masculin auquel on s’adresse. Elle leur criait donc à tuetète : « L’homme n° 2 ! Écoutez, l’homme n° 4 ! » Cela faisai