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lorsqu’il fut le fermier de ma grand’mère et le maire du village, sa science le rendit fort utile au pays, d’autant plus qu’il l’exerçait pour l’amour de Dieu, sans rétribution aucune. Il était de si grand cœur qu’il n’était point de nuit noire et orageuse, point de chaud, de froid ni d’heure indue qui l’empêchassent de courir, souvent fort loin, par des chemins perdus, pour porter du secours dans les chaumières. Son dévoûment et son désintéressement étaient vraiment admirables. Mais comme il fallait qu’il fût ridicule autant que sublime en toutes choses, il poussait l’intégrité de ses fonctions jusqu’à battre ses malades quand ils revenaient guéris lui apporter de l’argent. Il n’entendait pas plus raison sur le chapitre des présens, et je l’ai vu dix fois faire dégringoler l’escalier à de pauvres diables, en les assommant à coups de canards, de dindons et de lièvres apportés par eux en hommage à leur sauveur. Ces braves gens humiliés et maltraités s’en allaient le cœur gros, disant : Est-il méchant, ce brave cher homme ! quelques uns ajoutaient en colère : En voilà un que je tuerais, s’il ne m’avait pas sauvé la vie ! Et Deschartres, de vociférer, du haut de l’escalier, d’une voix de stentor : « Comment, canaille, malappris, buter, misérable ! je t’ai rendu service et tu veux me payer ! Tu ne veux pas être reconnaissant ! Tu veux être quitte envers moi ! Si tu ne te sauves bien vite, je vais te rouer de coups et te mettre pour