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que, voulant me passer des rubans qui étoient dans un tiroir, elle y avoit trouvé accrochée une grande vilaine main de squelette.

« Deux ou trois fois M. de Francueil étoit venu voir si j’étois prête.

Il avoit un air, à ce que disoit le marquis (c’est ainsi que j’appelois Mme de Lussan, qui m’avoit donné pour petit nom son cher baron). Moi, je ne voyois point d’air à mon mari et je ne finissois pas de m’accommoder, ne me doutant point qu’il étoit là, l’ours sublime, dans mon salon. Il y étoit entré d’un air à demi niais, demi bourru, et s’étoit assis dans un coin, sans marquer d’autre impatience que celle de diner, afin de s’en aller bien vite.

« Enfin ma toilette finie et mes yeux toujours rouges et gonflés, je vais au salon ; j’aperçois un gros petit bonhomme assez mal vêtu et comme renfrogné, qui se levoit lourdement, qui mâchonnoit des mots confus. Je le regarde et je devine ; je crie, je veux parler, je fonds en larmes. Jean-Jacques étourdi de cet accueil veut me remercier et fond en larmes. Francueil veut nous remettre l’esprit par une plaisanterie et fond en larmes. Nous ne pûmes nous rien dire. Rousseau me serra la main et ne m’adressa pas une parole.

« On essaya de diner pour couper court à tous ces sanglots. Mais je ne pus rien manger. M. de Francueil ne put avoir d’esprit, et Rousseau